Penser la psychanalyse, penser avec la psychanalyse
Expatriés, nationaux… quelles incompréhensions réciproques ?
Oliver Douville, Charles Becker, Petit Momar, Professeur Momar Gueye, repas communautaire à la Résidence Vivre Art de Dakar
La fin de ma vie au Sénégal précipite en ses derniers soubresauts un réel fait du tissage de mon histoire, de ma subjectivité, avec les mots entrechoqués de deux cultures irrémédiablement déchirées, déchirantes. La colonisation y prit une dimension de stupeur figée dans une opposition d’incompatibilités. Par culture j’entends la langue et les rituels qui constituent un espace humain dans ses habitus de production de l’homme par l’homme, et les réalités qu’elles génèrent, ce que l’on désigne communément des termes d’éducation ou/et de transmission, de socialité des rapports et des partages.
Mon vœux est de sortir de la morale bien-pensante où s’enlise la question. Les bonnes intentions enferment les anciens colonisés non seulement dans les horreurs que leurs ancêtres eurent à subir des politiques et des colons de l’époque, mais aussi elles en redoublent l’enfermement par l’occultation des mécanismes relationnels qui se sont développés depuis. Une petite histoire à mille autres pareilles en Afrique de l’Ouest, l’illustrera. Elle n’est pas sans rappeler celle de L’étrange destin de Wangrin, ou les roueries d’un interprète africain, de Amadou Hampâté Bâ. Plus près de nous internet multiplie les rocambolesques et funestes facéties des brouteurs d’Abidjan et d’ailleurs. Autant de récits et de proverbes qui tissent les liens entre ces deux origines, et qui pourtant n’apparaissent jamais parce qu’il est mal venu à l’ancien colonisateur d’en rendre publiques les agressions. Ainsi, lors d’un congrès en 2013, j’émis ce proverbe africain qui fit scandale : « voler un blanc n’est pas voler ». Je m’attirais les foudres des bienpensants, quand peu se réjouirent de la surprise qui relançait leurs réflexions.
Voici une petite histoire au canevas habituel. Lors de la vente d’une maison, dont ils sont deux associés à posséder la nu-propriété, Mme B. en ayant gardé l’usufruit, Monsieur G. possesseur de parts minoritaire soumet tout le monde au chantage suivant : il n’acceptera la vente qu’à condition que l’ensemble du capital usufruit et nu-propriété lui revienne. Au motif que la vieille dame lui aurait promis que le bien lui appartiendrait le jour de sa retraite. Ses cinquante ans venus, se sentant venu à cet âge et dans le besoin, il se campe dans le bon droit, qu’il se suppose, de réclamer l’entière propriété, sans attendre ni l’accord de l’associé majoritaire, ni le décès de la vieille dame.
Est-ce de sa part un chantage conscient ? Ou bien ce surgissement relève-t-il d’une autre logique ? Monsieur G. ment-il en brandissant la promesse de Madame, et en voulant léser tout le monde ? Il n’est pas sans en savoir quelque chose, puisqu’il rapporte aussi, que Madame B. ”fait toujours ce qu’elle dit, et dit toujours ce qu’elle fait”. Mais il s’accroche à l’ignorer. En effet Madame B. lui fait remarquer que si elle avait voulu se départir de son bien de son vivant, ne serait-ce pas ce qu’elle aurait consigné chez le notaire ?
Toutes les séparations, ruptures de liens, pas seulement avec les expatriés ou les ex-colonisateurs : divorces, héritages, départs ou renvois professionnels, toutes sont en Afrique difficiles, douloureuses, longues à mettre en place, et surtout vécues avec des agressions, des digressions et beaucoup de violences.
Je veux ici essayer de lire les quiproquo qui les inaugurent. Il convient d’examiner sérieusement les différences qui s’impliquent dans ces querelles : différences de structures des langues, différences des imaginaires portés par les mots, différences des processus de transmission, différences des représentations sociales et de leurs représentants … chemins d’œdipismes non comparables.
L’expatriation…
Faire le choix de vivre à l’étranger, dans une culture qui n’est pas portée par sa langue maternelle, n’est pas sans conséquences. Au moment du retour en France, j’en mesure toute la richesse et bien des complexités. La différence des langues, les quiproquos, les incompréhensions, me portent à un certain regard, des interrogations sur des violences et des déchirements auxquels la mondialisation contemporaine affronte les pays, jusqu’à chacun d’entre nous.
C’est à cette question, qui éclaire dans ses reflets la manière dont notre existence et nos vies se construisent en occident, que je veux consacrer un peu de temps, repoussant une seconde fois ma rédaction concernant la féminité à partir des vies et des oeuvres d’Amy Winehouse et de Véronique Samson.
Mais nous ne éloignerons-nous pas tellement de ces questions. Interroger la fabrique de l’homme par lui-même nous ramènera insensiblement sur celles du féminin que nous laissons en suspens, car dans chaque culture, plus qu’un fait social et anthropologique, le statut de la femme, des femmes, des mères et des filles, se trouve gravé, inscrit, porté par chaque langue au plus profond de ses mots, sa grammaire, sa syntaxe.
Jacques Brel
Il s’est trouvé qu’au moment où je cherchais les articulations d’une toute fin de rédaction, lasse de ne rien trouver, à 21 heures ce soir-là, je me mets devant la télévision. Sur France 3, passe un documentaire : Jacques Brel, fou de vivre. Le titre m’interpelle. Il est si proche de celui d’un de mes livres : La folie de vivre. Les images défilent. Je n’en crois pas mes oreilles. Même les journalistes semblent avoir été gênés aux commentaires des éléments de cette biographie. Brel est cet enfant, qui avait pris en grippe la platitude de son pays et de son enfance dans une famille catholique de la bonne bourgeoisie Belge. Une vie parée de faux-semblants pour un bien universel mâtiné de morale chrétienne. Cela dit, tout semble dit. Jacques adolescent devient scouts, et chante ses chansons aux charmes bigots. Il se marie. Intègre à regrets l’entreprise familiale. S’ennuie, végète, déprime, finit par quitter ce microcosme, qu’il hait en silence. Depuis l’enfance il veut fuir. Écrire. Jouir des mots, a toujours été sa manière d’échapper. Chanter, écrire, est depuis les scouts sa tentative d’exister. Il s’en va pour Paris. Il veut se mesurer, chercher là-bas ce qu’il vaut. Mais rien. Échecs. Refus. Solitude. Misère. Ses chansons cul-béni n’attirent pas les foules. « Mis au pied du mur par sa maison de disques, il finit pour s’imposer par franchir une limite, celle de la pudeur, avec une chanson identitaire qu’il donne en 1959 à 30 ans. Ne me quitte pas.…1960, La chanson est descendue dans la rue, elle devient la couleur du temps. D’un coup Jacques Brel, celui qui chante ce qu’on n’a jamais dit, est connu de la France entière. …» Le journaliste précise : « Ne me quitte pas.…C’est un hymne à la lâcheté. C’est ça Ne me quitte pas. C’est jusqu’où un homme peut s’humilier. Je sais évidemment que cela peut faire plaisir aux femmes, qui en déduisent assez rapidement que c’est une chanson d’amour, mais c’est un hymne à la lâcheté des hommes »
Le rapport de Brel aux femmes sera toujours parfaitement lâche. Il en aura plusieurs, mille qu’il ne quittera jamais, il sera toujours quitté, sauf par Miche, son épouse fidèle qui a pris la tête et la gestion de leur maison d’édition, de son catalogue de chansons. Ne me quitte pas. En 1961, c’est l’Olympia, Johnny Hallyday vient de faire un malheur. Seul Brel a accepté de lui succéder.
La célébrité le submerge. « Je deviens Brel et je suis traité comme si j’étais important, alors que je sais bien que ce n’est pas vrai, je fais de la chansonnette, que de la chansonnette, et c’est difficile d’être honnête vis-à-vis de ça. J’ai jamais rêvé tout ce qui m’arrive. Je croyais que ça allait se passer autrement. À un moment j’ai senti que c’était raté, que le rêve c’était pas ça ». La fuite recommence, sous une autre forme, la route des concerts dix mois et demi par an. Terrorisé par le public. Frayeur d’être insuffisant. Peur de déranger, d’être surnuméraire. « Ils sont mille, ils vont être mille un, et je suis le un qui dérange ». C’est exhibitionniste de chanter, impudique. J’ai été vomir avant chaque tour de chant de peur. Courir jusqu’à tomber. Chanter, jouer ses chansons, aller au bout des mots avec le corps, incarner le texte « si l’acte d’amour n’est pas suivi d’un énorme épuisement, c’est qu’il n’y avait pas d’amour » Des concerts toujours à la lisière de l’indignité. « À quel moment tu es bien ? » lui demande le journaliste. « Quand je me couche et à condition que je ne puisse plus rien faire d’autre que de me coucher, quand je tombe. À ce moment c’est pas le bonheur, tu sais bien, mais il y a deux ou trois minutes où tu te supportes…»
Le parallèle des contraires avec Johnny, s’arrête là. Quand il s’agit de travailler, le Grand Jacques est aussi monstrueux. Il trime, jusqu’à épuisement, fou de poésie même s’il n’emploie jamais le mot. « C’est un long labeur, c’est une planche qu’on rabote, c’est de l’artisanat, et c’est d’autant plus difficile qu’il n’y a finalement pas de loi. Le talent ça n’existe pas. Le talent c’est d’avoir l’envie de faire quelque chose, et je crois qu’avoir envie de réaliser un rêve c’est le talent, et tout le reste c’est de la sueur, c’est de la discipline, je suis sûr de ça, l’art moi je sais pas ce que c’est, les artistes moi je ne connais pas,…» On le proclame poète. Il refuse : « Je n’ai rien réussi. Dès qu’on sait un peu, on sait qu’on ne sait rien. Je n’ai rien à voir avec Rimbaud ou Baudelaire ou un quatuor de Debussy ou de Ravel, faut être sérieux, j’ai rien à voir avec eux. Je n’ai pas honte, simplement je n’ai pas honte. »
Son père meurt, sa mère qui a toujours suivi son père, décède trois mois plus tard. Il écrit Les vieux. C’est tout ce qu’il dira de ses parents. L’amour, il le soutient comme un rêve, mais il n’est jamais à demeure, sauf pour ses vieux. Sylvie Rivet, intellectuelle, grand lectrice, sera bien sa compagne pendant 10 ans ; ils vivront souvent au cabanon de Roquebrune, mais Miche et leurs trois filles, le reverront inlassablement quatre à cinq jours par mois, dans la grande maison de Bruxelles. L’homme qui a peut-être écrit les plus belles chansons d’amour du siècle, n’aime pas les femmes, ou peut-être les aime trop et trop mal ? Peur ? Horreur ? Interroge le journaliste, qui conclut : « misogyne sûrement. »
Finalement, il se rejette lui-même, fendu d’une blessure insupportable : il se vit comme laid, donc non-aimable. Le désir des femmes qu’il éveille avec ses chansons le pétrifie, le fait déguerpir. À ce non-amour il tient. Il préfère garder son statut de mal aimé, pour conserver son rêve d’amour « les femmes sont toujours en dessous de l’amour dont on rêve, à coté du rêve que j’ai…»
Et il repart…
Donc de ses femmes il ne parle jamais, pas plus qu’il ne parle de ses parents, ou de ses enfants, pas plus qu’il ne parle de lui. Beaucoup de la rigidité de son père, digne représentant d’une communauté humaine dans laquelle il se sent surnuméraire.
Enfant en trop. Pour ses enfants il sera de trop. De ses filles, il dit qu’il ne les connaît pas, qu’elles ne le connaissent pas non plus.
Probablement vit-il sans proches, isolé parmi des copains, surnuméraire de toute vérité du père partout, dès sa naissance.
Toute sa vie s’écrit comme s’il n’avait pas été attendu, accueilli, aimé. Comme s’il n’avait pas compté, comme si nul ne l’avait vu. Plutôt comme si ON l’avait entraperçu, puis à jamais refusé de le voir. Trop laid. ON l’a élevé, mais nul ne sait qui est ce ON, pas plus lui. Il est le cygne noir qui dérange, il est indécent, et son existence ne fait qu’importuner, embarrasser. Ses chansons bousculent l’ordre établit.
Vivre serait crier pour être entendu, vu, aimer, parce qu’il le vaut bien ? déranger un monde si bien rangé, qu’on perturbe rien que d’être là. Mais c’est indécent la jouissance dans un monde où elle a le visage du néant de la pensée. Penser est obscène. Et lui Brel, il pense. Mais, il ne le dit pas. On parle des bourgeois, jamais de quiconque, encore moins de son père, pas même de sa mère. Peut-être de Jef. Un double de lui-même. Au patriarche, il ne s’opposera jamais. Il prendra la poudre d’escampette. Tout comme avec le public il ne dialogue pas. Il fout le camp, il se recroqueville de lâcheté. Ne me quitte pas…
Le 16 mai 1967, il donne son dernier récital à Roubaix. Puis il fuit, court toujours plus loin, encore plus vite. Il apprend à conduire avion et bateau, s’envole, largue les amarres vers l’autre coté du monde. Il reviendra pour quelques films, avec lesquels il ne fera pas carrière, une comédie musicale qui ne fera pas beaucoup mieux. Don Quichotte de La Mancha, autobiographique d’un chasseur de moulins à vents.
Atteint d’un cancer du poumon, il meurt à l’âge de 40 ans.
Sans limites, sans lien vrai avec ses parents ou quiconque, la mort lui viendra dans l’épuisement de son corps, les deux minutes avant de s’endormir où il se supportait. Jacques Brel l’enfant mal-aimé, fut l’homme qui de laideur n’eut jamais le désir de s’aimer. Plus fondamentalement n’eut-il jamais le désir d’aimer ses parents, impossibilité d’être aimé par eux, d’aimer vivre…
Ce mot amour, Quand on a que l’amour sa première rencontre avec le public, aurait pu faire basculer sa vie et sa carrière. Souvenez-vous, ce fut son premier succès. Le commentateur du documentaire Brel fou de vivre, en propose la remarque suivante : « cette chanson d’amour le fait passer du répertoire de l’abbé Brel, frère prêcheur des prêchi-prêchas, à une dimension qui va l’inscrire dans la modernité de son époque. » C’est cette phrase qui a attiré mon attention, établi une comparaison entre ces deux artistes.
En affirmant que l’amour est la seule possession de ceux qui n’ont rien, donc de tous, Brel pose la question de la nature même de l’amour. Il est ce qui reste lorsque l’on n’a rien, lorsque l’on ne vous a rien donné. Cette ébauche d’échange avec son public aurait pu lui faire commencer, avec la chanson suivante, un dialogue. Il aurait continué à penser avec « tous » les amours infantiles et adultes. Quand on a que l’amour …Il ne le fit pas.
Ses textes demeurent comme une lecture figée dans les plaintes convenues et les critiques acerbes de la bourgeoisie de son époque. Le sujet, s’il s’avance pour aller se trouver dans sa poésie, déguerpi trop effaré de lui-même.
Vient de sortir :
https://www.librinova.com/librairie/martine-fourre/jimi-hendrix-1
Les artistes sont essentiels à nos vies. Dans le miroir de nos regards, ils nous offrent leur rencontre avec les illusions de notre époque : amour et gloire, autant que la découverte d’eux-mêmes et de leur désir. Dans ce parcours, certains comme Jimi Hendrix meurent d’épuisement de jouissances.
Le travail de Martine Fourré nous présente une biographie tendre, touchante et documentée de la descente aux enfers de ce fabuleux musicien, puis dans un second temps une réflexion sur les rouages sociaux qui auraient pu permettre à Jimi de ne pas courir vers sa mort prématurée.
Pour une conclusion impossible. Elle s’interroge sur ce que la psychanalyse peut offrir à ces rencontres… comme une main tendue à ceux qui chantent
C’est quoi une femme ? C’est quoi un homme, tels Sliman et Vita… qui continuent ainsi le grand œuvre de leur prédécesseurs…
Formations
Une bonne nouvelle en ce début d’année.
La pandémie nous ayant fait pratiqué Zoom, la majorité des enseignements des Ecoles Analytiques auprès de leurs adhérents se font dorénavant aussi bien en présentiel, que par Zoom. Ainsi la formation des psychanalystes devient-elle facilitée pour ceux qui ne résident pas à Paris, puisqu’elle devient possible de province comme de l’étranger, lorsqu’il y a des analystes sur place.
Les universités, comme :
https://www.iedparis8.net/?-master-de-psychologie-clinique
https://www.univ-rennes2.fr/formation/formation-distance
https://www.nciecoleparis.fr/etudiants/examens/
Et ce forum http://forum.psychologues-psychologie.net/showthread.php?72775-Vos-avis-sur-les-formations-en-enseignement-%E0-distance
développent également leurs formations numériques. A suivre donc…
Au fil des jours,
Comme je l’ai fait sur Le Monde et sur les Actualités Sociales Hebdomadaires, je me propose de reprendre sur les pages qui suivront mes petits papiers rapides. J’y consignerai au fil des jours les questions qui me viendront, que soulèveront les uns et les autres, praticiens ou non, les idées que feront surgir le quotidien, les lectures, les rencontres…
A suivre donc…